BRACAVAL, né à Nantes en 1948, il bénéficie de la première Bourse du Musée des Sables d'Olonne
en 1972; expositions organisées par les Musées de Morlais - Angoulème - Le Mans - Le Centre
Culturel de Saint-Nazaire - Le Centre Passerelle (Brest) Galerie Spiess - Hillhead Library (Glasgow) - Maison Française d'Oxford - L'art dans les chapelles, Gourin, Bretagne.

Œuvres dans les Musées de Nantes, Liège, Morlaix, Les Sables d'Olonne, Wakefield Art Gallery,
les arthothèques de Caen, Nantes, Hennebont, Angers, La Rochelle-sur-Yon, Auxerre, Amiens
Mulhouse, Henin Beaumont, Nice.

PRIX : Pinneau Chaillou, Lafont, Robert Beltz.

 

L'aune de l'instant

Paru à l'occasion de l'exposition produite par le Centre Culturel de Saint-Nazaire (1994)

 

Ajoutant au silence de la peinture, le peintre, s’abstenant de révéler son intention, renvoyant à lui-même le spectateur, favorise une ambiguïté féconde.

Inscrit-il quelques mots au coin d’une toile, Gauguin n’exprime qu’un désarroi :
" D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? "
Le mystère de la peinture serait-il de faire naître un doute tout en nous éclairant ?

Un a priori abusif voudrait que le goût du jour soit le seul juste, devrait-il être chassé par celui du lendemain, et si certaines œuvres profitent d’une complicité avec leur époque, d’autres attendent que le temps en fournisse les clés, comme un alphabet découvert soudain autorise la traduction de textes, restés durant des siècles hermétiques.

Afin de me faire une idée de l’effet que produira l’art moderne sur les civilisations à venir, j’imagine un extra-terrestre, découvrant dans les décombres d’un musée, un Mondrian et un Pollock, et les rangeant dans la même case "Art du XXe siècle ", car pouvons nous apprécier les différentes tendances de l’art égyptien, alors que se confondent pour nous celles de notre peinture classique ?

Pour mieux saisir le sens d’une œuvre, j’aime m’attacher à l’instant premier - primitif - de la rencontre, avant toute récupération mentale. Une longue contemplation m’apprend moins que l’éclair précédant le moment où mon être se ressaisit. Comme si le rôle d’une œuvre était de détruire, une seconde, les remparts derrière lesquels se protègent nos certitudes. Le contact a lieu à notre insu, dans une zone où nous mêmes - entendons notre volonté - n’avons ni accès ni contrôle. Nous devons basculer là où il nous semble que nous sachions, sans savoir que nous savons, ni comment nous pouvons le savoir.

Revoyant une même œuvre après plusieurs années, notre lecture bénéficie d’un recul nous permettant d’évaluer notre précédente émotion, notre ancienne grille d’appréciation nous semblant alors périmée, une foule d’arguments nous amenant à modifier notre regard. Sommes-nous certains que notre vision eût été la même si tels commentaires ne nous y avaient préparés ?

Lucide Delacroix disait : "Montrez leur ce qu’ils n’ont pas aimé ". Notre vision étant si dépendante, sujette à tant de fluctuations, les œuvres sont-elles vraiment causes que nous les aimions, en venons nous à nous interroger, et comment pouvons nous porter un jugement fiable si chacun mesure selon son aune ?

La force que nous insuffle une œuvre, peut nous laisser l’illusion d’en être à son niveau, pour en savoir goûter le suc, nous trouvant gratifiés d’appartenir au cercle restreint de ceux qui en ressentent l’esprit; mais la rencontre suivante nous révèle d’autres aspects, de sorte qu’à mesure où notre réceptivité se développe, nous éprouvons l’inquiétude que nous échappe sa grandeur consistant à ne jamais se laisser déchiffrer, toujours au delà de notre système d’analyse , comme si un fil invisible en commandait toutes les facettes.

La capacité de nous détacher de notre regard pour en devenir l’observateur, nous donnerait accès à une vision nouvelle.

Ce sont les mêmes modèles, les mêmes paysages, mais les projecteurs sont réglés différemment. Notre relation passionnelle aux œuvres nous enseigne que rien n’existe solidement, durablement, tout se fondant dans cette lumière se modifiant sans cesse, à la faveur des heures et des modes. Comme si la peinture nous amenait à douter de nos propres yeux, pour qu'enfin nous puissions voir.

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